Livre VII : chapitre 9.
– 53 : César rentre à Vienne et part chez les Lingons.
Traduction : L.-A. Constans, 1926 : “La guerre des Gaules”
Chapitre 9 : Mais César ne resta que deux jours sur place : il avait prévu que Vercingétorix agirait effectivement de la sorte. Sous prétexte d’aller chercher du renfort et de la cavalerie, il quitte l’armée, laissant le commandement des troupes au jeune Brutus : il lui recommande de faire des incursions de cavalerie de tous côtés, et de les pousser le plus loin possible ; quant à lui, il tâchera de n’être pas absent plus de trois jours. Les choses ainsi réglées, il se dirige à marches forcées vers Vienne, au grand étonnement de son escorte. Il y trouve de la cavalerie fraîche, qu’il y avait envoyé un certain temps auparavant, et, ne cessant de marcher ni jour ni nuit, se dirige, à travers le pays des Héduens, vers celui des Lingons, où deux légions hivernaient : il voulait, au cas où les Héduens iraient jusqu’à tramer quelque plan contre sa vie, en prévenir, par sa rapidité, l’exécution. Une fois arrivé, il envoie des ordres aux autres légions et les concentre toutes sur un seul point avant que les Arvernes aient pu apprendre qu’il était là.
Quand il connaît la situation, Vercingétorix, à nouveau, ramène son armée chez les Bituriges, puis quitte leur territoire et se dispose à assiéger Gorgobina, ville des Boïens : César les y avait établis après les avoir vaincus dans la bataille contre les Helvètes, et il les avait placés sous l’autorité des Héduens.
Ce qu’il faut retenir dans ce chapitre N°9.
Les Cévennes. Jusqu’à présent, César ne donne aucune indication sur le but précis de cette expédition ni à quel niveau d’incursion vers le nord il aurait traversé les Cévennes pour déboucher chez les Arvernes. Une information importante nous a néanmoins été livrée, qui va nous faire avancer dans notre enquête. Reprenons les choses dans l’ordre.
Chapitre 8 : César traverse les Cévennes avec infanterie et cavalerie. Il passe un col avec 1,8 m de neige César parle certainement de congères. Il débouche chez les Arvernes. Il ordonne à sa cavalerie de massacrer des Gaulois aussi loin que possible.
Chapitre 9 : César ne reste que deux jours sur place. Il quitte le camp pour Vienne. Il annonce son retour dans trois jours.
Combien de temps faut-il pour regrouper et préparer une expédition de cavalerie en montagne et en plein hiver ?
César arrivé à Vienne, il lui faut bien compter une journée complète pour planifier, sélectionner, réquisitionner et rassembler dans un même point les cavaleries des légions concernées, préparer des vivres, du fourrage pour la durée de la mission, ainsi que des équipements d’hiver. Partir juste avant la tombée de la nuit n’aurait aucun sens quand le soleil se couche de bonne heure, « au plus fort de l’hiver ». Et, il ne disposerait que d’une journée pour voyager vers Vienne puis d’une autre pour revenir avec sa cavalerie vers Brutus ?
Ce timing « au plus fort de l’hiver » ne manque pas de nous intriguer. Dans la même journée, 80 km à cheval, à chercher des chemins sous la neige, est un maximum réalisable, surtout à cette saison. Même si César arrive à Vienne avant la première veille, la cavalerie doit encore se préparer pour cette expédition inattendue. Ce n’est que le lendemain de la deuxième veille, à l’aube, qu’elle pourrait être disponible pour rejoindre le camp de Brutus dans la journée.
César, en réalité, ne reviendra pas vers Brutus, il va partir chez les Lingons avec de la cavalerie. S’il avait eu réellement l’intention de s’incruster davantage dans les Cévennes, il aurait envoyé un messager à Vienne, au lieu de prendre le risque de voyager ainsi, même sous bonne escorte. César ne précise pas la quantité de cavalerie nécessaire pour la mission de Brutus. Par prudence, il claironne son retour dans les trois jours pour éviter qu’éventuellement un de ses guides Helviens trahisse et aille informer les Arvernes qu’un sale coup se prépare ailleurs. Laisser croire aux Arvernes qu’il a l’intention de revenir, ce n’est qu’une habile manipulation. Après la carte ci-dessous, on dévoilera le vrai plan de César.
Par contre, le « timing de trois jours » nous nous laisse deviner que le camp de base de César n’est pas très loin de Vienne. A quatre-vingt kilomètres par route au maximum. Munis de cette info très précise, depuis Vienne, il nous est facile de tracer un arc de cercle convenable pour justifier la zone cévenole du camp de Brutus.
On va ainsi démontrer que l’incursion de César à l’est de l’Auvergne, se déroule bien plus au nord que les hypothèses généralement proposées.
Carte explicative.
César annonce à Brutus son départ instantané sur Vienne et aussi son retour dans « trois jours ». Cette information est capitale pour comprendre que Brutus n’est vraiment pas très loin de Vienne. Les deux arcs de cercle définissent la zone de son camp de base. Sur notre plan, les accès possibles depuis Vienne peuvent se faire par deux routes antiques. Celle de la vallée de la Dunière est la plus probable, c’est la route la plus directe pour rejoindre Reuession, la capitale des Vellaves. Quant à la route de la vallée de la Cance, la plus au sud, elle présente des difficultés d’accès importantes et la fin de parcours est très pentue. L’une comme l’autre débouchent dans la zone possible pour localiser le camp de Brutus.
Carte explicative.
César annonce à Brutus son départ instantané sur Vienne et aussi son retour en « trois jours ». Cette information est essentielle pour comprendre que Brutus n’est pas très loin de Vienne. Les deux arcs de cercle définissent la zone de son camp de base. Les accès possibles depuis Vienne peuvent se faire par deux routes antiques. Celle de la vallée de la Dunière qui est la plus probable, c’est la route la plus directe pour rejoindre Reuession. Quant à la route de la vallée de la Cance, la plus au Sud elle présente des difficultés géographiques importantes car la fin de son parcours est très en pente. Dans les deux cas, ces deux routes débouchent dans la zone de crédibilité pour localiser le camp de Brutus.
César ne parle pas de Gergovie dans ce chapitre mais il n’est pas monté dans les Cévennes en plein hiver avec un contingent pour massacrer des paysans égarés. Son but était précis et nous avons supposé deux probabilités.
– Bas-en-Basset était une ville Gauloise très importante sur les rives de la Loire.
– Le camp Celtique des Barry. C’est un camp attesté. Il est énorme au Sud d’Yssingeaux sur le plateau de Saint Maurice de Lignon. Un camp Romain attesté lui aussi est venu supplanter ce camp à une autre époque.
« Le plan de César ».
Pour comprendre l’intérêt de cette incursion cévenole en plein hiver, il faut se souvenir des chapitre «1 & 6 » de ce livre VII.
Ch. 1 : // « La première chose, disent les Gaulois, à laquelle on doit aviser, c’est de couper César de son armée avant que leurs projets clandestins ne soient divulgués. C’est chose facile, car les légions n’osent pas, en l’absence du chef, sortir de leurs quartiers d’hiver et, de son côté, le chef, sans escorte, ne peut rejoindre ses légions ;
Ch. 6 : // Comment parviendrait-il à rejoindre son armée ? Si, en effet, il appelait les légions dans la Province, il voyait qu’elles devraient en chemin livrer bataille sans lui. S’il allait vers elles, il se rendait compte que, dans les circonstances présentes, il ne pouvait sans imprudence confier sa vie à ceux-ci, même s’ils paraissaient tranquilles.
Les légions romaines, retranchées dans leurs camps d’hiver, situés principalement dans le nord de la Gaule, sont en sécurité et ne quitteront pas leurs positions sans ordre de César. Cependant, les Gaulois peuvent couper César de son armée en attaquant ses escortes, si jamais il entreprend de rejoindre ses légions. D’où l’intérêt qu’a le général de rester le plus secret possible sur ses réelles intentions de déplacement.
Alors, César fait une incursion surprise chez les Arvernes sur l’arrière des Cévennes. Il va afficher sa présence pendant deux jours. Pour se faire bien remarquer, il va faire massacrer la population par sa cavalerie autour d’un camp de base laissé aux mains de Brutus.
César explique, par deux fois et sur deux chapitres, les risques qu’il refusait de prendre à rassembler son armée sur un seul point. Pour ne pas être gêné pendant la grande opération qu’il projette secrètement au pays des Vellaves, clients des Arvernes, et pour ne pas subir de pertes inutiles, il va détourner l’attention de Vercingétorix vers un lieu très éloigné de l’endroit choisi. Sans plus tarder, César lui-même fonce vers Langres.
C’est chez les Lingons qu’il apprend que Vercingétorix est à Avaricum (Bourges). En parallèle, les massacres se propagent aussi loin que possible en Velay dans un but bien précis :
Attirer Vercingétorix dans les Cévennes puis le fixer sur place, pendant que César regroupe ses légions en toute sécurité chez les Lingons.
Si César avait réellement eu l’intention de rester sur place, il aurait envoyé une ambassade à Vienne au lieu de prendre le risque d’y aller en personne. L’annonce de son proche retour vers Brutus est manifestement une ruse pour que, en cas de fuite d’informations par les guides Helviens, Vercingétorix reste persuadé que César est encore Velay ou qu’il va y revenir
NB : certains chercheurs ont supposé que César aurait traversé les Cévennes bien plus au sud, du côté de Reuession (à la périphérie du Puy-en-Velay), et qu’il aurait même poussé son incursion jusqu’à Fix-Saint-Geneys en direction de Gergovie-Merdogne. Cette hypothèse s’avère incompatible avec le texte de César pour deux raisons.
- Avec cet itinéraire par le Puy-En-Velay, il lui aurait été impossible de faire l’aller-retour vers Vienne en trois jours, encore moins au plus fort de l’hiver. D’ailleurs, su tel avait été son plan de bataille, il y serait allé avec toute ses légions disponibles au lieu de les répartir chez les Helviens.
- De plus, César ne parle jamais de prendre Gergovie dans ce chapitre. Il est pourtant clair que le rusé général n’a pas grimpé dans les Cévennes, en plein hiver, avec un tel contingent, avec le seul objectif de massacrer des paysans égarés. A ce point de lecture des Commentaires, nous pressentons deux cibles potentielles dans cette zone.
– Bas-en-Basset : c’était une ville gauloise important pour le commerce sur les rives de la Loire.
– Le camp des Barrys : c’est un camp celtique attesté. Il est situé au nord d’Yssingeaux sur le plateau de Saint Maurice de Lignon. Un camp romain s’y est, d’ailleurs, développé à une époque postérieure.
Pourquoi César serait passé par ici ?
Ci-dessous, plusieurs éléments pourraient justifier le lieu de cette incursion.
Trésor de Lapte.
Le Velay contôlait le commerce sur les fleuves Loire et Allier. Cette tribu devait forcément être riche et puissante.
Pour rappel, un trésor gaulois de 200 statères en or a été trouvé à Lapte, village voisin du camp des Barry. Ce trésor démontre qu’une tribu Gauloise très importante habitait près de ce camp des Barrys. Il est communément appelé « Trésor Arverne. » Trente d’entre eux sont présentés ici. (J.P Jouen)
Le camp des Barrys
Article de la municipalité de Saint-Maurice-de-Lignon d’après Boudon Lashermes de 1956
Il y avait un camp Celtique immense au lieu-dit les Barrys. Celui-ci a été recouvert par un autre camp mais Romain cette fois. Celui-ci était construit pour deux légions. Il était beaucoup plus petit
http://www.stmauricedelignon.fr/point-interet-touristique/le-camp-des-barrys/
Ce plateau à la frontière entre Yssingeaux et Saint Maurice de Lignon qui domine les gorges de la Loire, du Lignon et du Ramel, a semble- t-il était habité il y a très longtemps et les hommes ont dû s’y battre. On retrouve en effet des noms, des termes qui laissent supposer quelques massacres : champs des bramas (cris), champs du feu, la roche des Maures devenu roche des morts.
Les historiens pensent que cela a pu être un camp romain, et avant une ancienne enceinte celte. Il subsiste des murs agglomérant de très gros blocs de pierre.
Les Barrys signifient en occitan : Les remparts.
Certains pensaient dès 1956 que le plateau des Barrys avait pu être le siège de la bataille de Gergovie et qu’une cité y était bâtie (Ladaudette). En tous cas, jusqu’ en 1953, les visiteurs découvraient les vestiges d’une cité ancienne ceinte de plusieurs lignes de remparts. Malheureusement dès l’hiver 1953, les remparts de la grande rue ont été entièrement détruits pour être utilisés à l’empierrement de la nationale. Jusque dans les années 80 les maigres pâtures sur ce plateau basaltique n’étaient pas clôturées. Aujourd’hui il est plus difficile de s’y aventurer mais la commune a défriché un chemin permettant de le traverser d’Est en ouest.
Les innombrables haies de buis transforment ce paysage en labyrinthe et les promeneurs peuvent s’y perdre facilement.
De l’autre côté de la nationale, le Suc des garnasses offre un magnifique point de vue sur la vallée du Lignon et les contreforts de la vallée du Rhône.
François VENISSE, d’après BOUDON LASHERMES et Joseph Merle (La Haute-Loire 1956).
Un lieutenant de Vercingétorix.
1935 : Plus qu’une légende, un document parlant d’un certain « Conor » lieutenant de Vercingétorix aurait habité près d’Yssingeaux.
Un journaliste local a lu en 1939, aux archives de Vienne que : « A Yssingeaux, un lieutenant de Vercingétorix du nom de « Conor » aurait combattu aux côtés de Vercingétorix. » Conor était un patronyme encore très répandu en Ecosse mais aussi Auvergne au 19ème siècle. Aujourd’hui, il a pratiquement disparu des patronymes Auvergnats. (P. Bourgis)
Cerise sur le gâteau.
Un historien Stéphanois a raconté qu’un combat aurait eu lieu entre Brutus et Vercingétorix au lieu-dit : « Champs Dolent » au « carrefour de la Garne » dans le Pilat, entre Loire et Haute-Loire. Ce lieu-dit est dans le secteur possible du camp de Brutus ou César n’est resté que deux jours sur place. Paul Ronin, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ne fait que raconter cette histoire sans faire le lien avec « La Guerre des Gaules ». Il ne cite pas ses sources.
Le plus extraordinaire est que cette histoire de champs dolent s’incruste parfaitement dans le texte de César, sans le dénaturer. Au contraire, il justifie ce qui s’est passé entre le départ de Vercingétorix d’Avaricum et son retour à Avaricum cité par César. Celui-ci a laissé un grand blanc dans son texte sur le sujet. Maintenant, on peut comprendre pourquoi. « Les troupes de Brutus s’y seraient faites massacrées ». César n’a certainement pas voulu raconter un épisode sans gloire qu’il n’a pas géré mais dont il est cependant, le seul responsable. Si cette histoire est vraie, ce serait entre Jonzieux et Saint-Victor-Malescours qu’aurait eu lieu la première victoire de notre « histoire de France », trois ou quatre mois avant celle de « Gergovie »